Publié le mardi 30 août 2005 par Histoire du Fort.
dans la rubriqueSeconde partie de l’histoire du fort : Napoléon construira-t-il, malgré les difficultés financières, les tempêtes et les brulôts anglais, un fort au large de Rochefort, entre Aix et Oléron ? L’empereur est attaché à la réussite du projet, qui peut faire la fierté de la France, tant la prouesse technique serait grande.
Nous sommes maintenant en 1799. Napoléon est un guerrier, un conquérant. Autoritaire, colérique, celui qui deviendra empereur hait par-dessus tout les Anglais. Il a d’ailleurs pour projet de les envahir, sans succès. Susceptible, ne tolérant pas l’échec, Napoléon renforce les défenses littorales de la Charente, conscient que celles-ci sont très vulnérables. Une équipe de spécialistes est envoyée sur place avec pour mission de lui rendre une expertise expliquant comment repousser douze mille Anglais, avec seulement quatre mille hommes.
Napoléon reprend alors à son compte les deux tentatives infructueuses de Vauban et Filley, et décide de construire un fort sur « le banc des hollandais ». Une commission de militaire et de civils est chargée en mai 1801 de dessiner des plans précis, afin d’entamer la construction de ce qui deviendra le fort Boyard : il faut construire un fort à deux niveaux, de forme ovale, et sur un enrochement de cent cinquante mètres de long sur cent cinquante mètres de large, le tout s’élevant deux mètres au dessus des plus hautes mers. Le fort reposera sur trois assises maçonnées qui devront supporter un fort de quarante mètres de large sur quatre-vingt mètres de long.
Le fort doit être capable d’héberger une garnison de soixante hommes au rez-de-chaussée, ainsi que dix-huit canons répartis dans les étages, les canons les plus modernes de l’époque. Quinze canons croiseront leurs tirs avec l’île d’Aix, et trois avec l’île d’Oléron. Ce dernier côté étant moins profond, il est de ce fait moins important à défendre.
Les travaux préparatoires durent deux ans, durant lesquels ne nombreux débats déchirent la classe politique : ceux qui sont pour la construction du fort, et ceux qui pensent que ce n’est qu’une folie de plus de Napoléon. Finalement, l’inspecteur des travaux maritimes Ferregeau présente le projet définitif fin 1802, qui sera adopté au début de l’année 1803. Des sondages seront réalisés pour définir l’emplacement exact du fort Boyard, à égale distance entre Aix et oléron. Mais les distances de l’époque étant fausses, cela rend ces sondages inutiles.
En 1803, la marine ordonne la construction d’une base à terre pour stocker les matériaux. Ce sera le port de La Perrotine qui devient Boyardville (du nom du banc de sable sur lequel sera construit le fort). Ceux qui constitueront la future main d’œuvre sont des hommes de la région et des militaires. Le manque de main d’œuvre à la fin de l’année sera comblé par l’apport d’ouvriers de Loire-Atlantique.
Mais les attaques anglaises se multiplient, car ces derniers espèrent maintenir leur domination de la côte française. Pour les contrer, Napoléon fait construire un « bouclier » armé autour de la rade de Rochefort. Il espère stopper les innombrables tentatives d’incursions anglaises qui retardent le chantier.
Le premier entrepreneur ne termine pas son contrat. Il est très vite remplacé. Mais en ce qui concerne les travaux d’enrochement, la marine doit les effectuer seule. En effet, aucun entrepreneur ne semble assez qualifié pour réaliser un tel chantier. De plus, il y a un manque chronique de main-d’œuvre, peu d’ouvriers sont intéressés pour aller travailler sur le chantier du fort Boyard.
Le chantier démarre réellement en 1804. Dix navires y sont acheminés, tandis que quinze autres sont encore en construction. L’ingénieur Leclerc, qui a été l’initiateur de la construction du phare de Chassiron sur l’île d’Oléron, est chargé de codiriger le chantier. Des carrières de pierres sont alors ouvertes à Port-Des-Barques, Fouras et l’île d’Aix, cette dernière étant la plus utilisée.
Un bloc de sept mètres cube est déposé sur le banc de sable. Ce bloc central est entouré par un enrochement de pierres, acheminées grâce à douze navires. Les treize autres prévus pour le fort ne viendront jamais au chantier, Napoléon décidant finalement de les employer lors d’une de ses innombrables batailles.
Le travail des cent soixante ouvriers, qui avancent lentement et sont peu motivés, est souvent interrompu. En effet, le transport des pierres se fait sur des gabares à voile, bateaux en bois qui ne pas très solides. De nombreuses embarcations coulent avec leur cargaison, un accident grave se produit, six membres d’un équipage meurent noyés.
Le bilan de cette première campagne est très médiocre. A la fin de l’année 1804, seulement onze mille mètres cube de pierres sont acheminés sur le banc de sable. Le génie maritime en avait prévu neuf fois plus, mais les attaques ennemies de septembre ont retardé le chantier. En 1805, malgré les cinq cents ouvriers qui travaillent sur le chantier en permanence, seuls cinq mille mètres cube de pierres seront de nouveau acheminées.
Quinze nouveaux navires complètent les machines du chantier un moment, mais ils sont rappelés rapidement pour participer aux guerres napoléoniennes. En 1806, un renfort de trois cents ouvriers, des prisonniers autrichiens, vient compléter l’effectif. Boyardville est agrandie, de nombreuses pierres sont extraites des différentes carrières. Pour tester la résistance des blocs, un mur en blocs artificiels de deux mètres cube est mis en place sur l’enrochement. Il est emporté lors des tempêtes du début de l’année 1806.
Seize mille mètres cube de pierres seront déposés durant cette année. On tente de reconstruire le mur de test, cette fois ci de quatre mètres cube. Le 28 août, un ouragan s’abat sur la rade de Rochefort. Le chantier est totalement dévasté, les bateaux endommagés et les travaux stoppés. Les tempêtes de l’hiver 1806-1807 détruisent les assises déjà construites. Il ne reste plus rien du chantier du fort Boyard, tout est à reconstruire. De plus, l’enrochement s’enfonce dans le sable, les critiques envers les ingénieurs se multiplient, et de nouveaux projets sont déposés.
En 1807, l’Etat investit énormément dans le chantier. Six cents hommes sont employés, vingt-sept navires et deux cents marins. Vingt mille mètres cube de pierre sont déposées, la première assise est presque totalement reconstruite, la seconde l’est à moitié. Elle sont renforcées avec du fer.
Mais l’enrochement s’affaisse de plus d’un mètre, ce qui impose aux entrepreneurs d’acheminer plus de pierres. Les assises, construites trop vite, sont détruites par les vagues. Au début de l’année 1808, il n’en reste presque plus rien... La somme d’argent investie dans le projet est colossale ! Le fort Boyard est un gouffre financier. Les crédits sont suspendus, les salaires des ouvriers ne sont plus versés, ces derniers se révoltent !
C’est dans ce contexte qu’en août 1808, l’empereur Napoléon Bonaparte vient voir le chantier qu’il a lancé quelques années auparavant, et prend conscience du désastre. Il demande de nouveaux plans pour le fort, qui sera réduit à soixante mètres sur vingt, équipé au maximum de vingt-six canons. Mais malgré ces modifications structurelles, les travaux n’avancent guère mieux qu’avant la visite de l’empereur, car le chantier passe son temps à réparer les dégâts causés les années précédente... Ferregeau réclame plus de crédits, et le chantier continue en 1809 avec plus de cent ouvriers et marins.
En 1809, les Anglais décident de faire un blocus de l’Atlantique, pour affirmer la puissance de leur flotte. Au mois d’avril, les travaux du fort Boyard n’ont guère avancé, les Anglais disposent de trois kilomètres entre Aix et Oléron pour attaquer la France.
L’attaque des Anglais en avril 1809 est spectaculaire. Elle conduira à l’abandon définitif du projet Fort Boyard. Le premier avril, Soixante-seize navires pénètrent dans la rade de Rochefort et font face aux quinze navires que constituent la flotte française. Ce n’est pas un débarquement, les bateaux sont bourrés d’explosifs. Ces « brûlots » ont pour but d’incendier les côtes, en explosant à quelques mètres du rivage. Face à cette menace, la France construit une estacade de fortune (sorte de petit barrage en bois, constitué de tonneaux et de cordes) avec l’espoir de bloquer les brûlots.
Le onze avril, les Anglais envoient leurs navires incendiaires face à la flotte Française. L’estacade explose, les « brûlots » progressent. Les commandants de la flotte française paniquent, et dans une pagaille la plus totale, les navires les plus chanceux s’échouent sur les côtes tandis que les autres explosent avec leur équipage.
Le constat est amer pour l’empereur Napoléon, qui doit se soumettre aux Anglais. C’est l’échec le plus total. La flotte française est décimée, le problème de la rade de Rochefort n’est toujours pas résolu. Fin 1809, l’empereur abandonne. Il ne peut pas rivaliser face aux Anglais. Jamais le besoin d’un fort sur la rade de Rochefort n’aura été aussi important. Mais l’empereur se désintéresse définitivement de la question, les travaux sont officiellement ajournés en 1809. Une trentaine d’ouvriers restent sur place jusqu’à l’abandon du chantier en décembre.
Le bilan est catastrophique. En sept ans, trois millions et demi de francs de l’époque ont été investis dans des assises qui se sont écroulées au fur et à mesure de la construction. Il ne sera plus question du fort Boyard durant plus de trente ans. Malgré tout, la marine française a fait construire le petit fort Enet entre 1810 et 1812, la protection de la rade étant toujours d’actualité, et renforcé les autres fortifications déjà existantes. Mais le projet de construction du fort Boyard n’est qu’ajourné...
Suite de l’histoire du fort : « 1837 - 1857 : Construction du fort Boyard »