L’identité de l’émission en question
Publié le mercredi 14 juillet 2010 par Avis de la rédaction 2010.
dans la rubriqueIl est parfois nécessaire de prendre un peu de recul avant de donner son avis sur ce que l’on vient de voir, c’est donc ce que fait cette année Fort Bavard, qui a préféré digéré l’émission de samedi, plutôt que d’ajouter son grain de sel à la tempête ambiante, et qu’on se le dise, samedi soir, après l’émission, il y a eu de l’électricité dans l’air…
La production et la chaîne l’avaient dit en cœur, cette année, tout change ! C’est le grand nettoyage de printemps ou plutôt d’été, et pour le coup on n’hésite pas à balayer devant sa porte et à se remettre en question.
L’émission commence : Olivier présente succinctement les bases du nouveau format, les images fusent, le ton est solennel, clair et tranchant, la compétition est déjà là, les images en témoignent.
Dans son costard, Olivier devient un maître de cérémonie, il n’est plus question de Maître du Fort, ni même du Fort en lui-même d’ailleurs, mais des candidats, que des candidats et rien que des candidats.
Et les candidats, parlons-en, ils arrivent fièrement, heureux de participer à l’émission qu’ils ont suivie pour la plupart dans leur jeunesse, eh oui, voilà deux décennies que le Fort berce des générations entières.
Au milieu de ce raz-de-marée humain, Olivier présente les quatre champions que devront détrôner les prétendants au titre, quatre candidats issus des deux premières saisons du jeu. De quoi raviver la flamme des nostalgiques, et faire un clin d’œil à tous ceux qui ont lancé cette incroyable machine, un peu rouillée, mais toujours opérationnelle cette année.
Le jeu commence ensuite, et là c’est la surprise et l’étonnement ! La plateforme, qui était persona non grata ces 15 dernières années fait son grand retour dans l’émission… Et la nacelle treuillée aussi ! Désormais le but n’est pas de filmer le Fort sous son meilleur jour, mais de mettre l’accent sur l’aventure que vivent les candidats et sur les conditions réelles du tournage. Franck Firmin-Guion, président de la société qui produit Fort Boyard l’avait annoncé, cette année les coulisses seront plus présentes que jamais. Un mythe s’effondre pour de nombreux téléspectateurs qui ne demandent qu’à rêver, non, les candidats ne rentrent pas dans le Fort par l’escalier extérieur comme dans le film Les Aventuriers avec Lino Ventura. Oui le Fort est bien un gigantesque plateau télé…
À peine débarqués, les candidats commencent déjà à s’affronter dans un premier duel. Olivier présente à toute vitesse Passe-Partout et Passe-Muraille et là, catastrophe, mais où est passé Passe-Temps ? Et qu’est devenu Anne-Gaëlle qui a opéré 4 ans durant sur le Fort ? Visiblement le nettoyage de printemps a été plus minutieux qu’on aurait pu le penser. Olivier tient seul les commandes, il est parfois un peu hésitant, cherchant ses mots, mais on le serait à moins, sept ans qu’il présente le jeu, et, cette année, ses repères ne sont plus là, il a même abandonné son maillot noir qui plaisait tant à la gente féminine… l’univers Fort Boyard en est tout retourné.
Les Titanes et les Cuivres s’affrontent pendant cette première manche. Le rythme est beaucoup plus rapide qu’à l’ordinaire, les transitions sont sèches, parfois répétitives (comme la transition « Fort Boyard » du damier que l’on retrouve à plusieurs reprises pendant le jeu), les temps morts n’existent plus, la course dans le Fort a disparu et d’ailleurs le coup de gong aussi, la Boule perd une de ses attributions, pourtant jalousement gardées depuis son arrivée sur le Fort en 1994.
Le temps n’a plus cours non plus dans le Fort, c’est d’ailleurs la raison invoquée concernant le remerciement de Passe-Temps. En effet, les chronomètres ont disparu, aujourd’hui, c’est Olivier qui marque le pas, chaque équipe a un nombre identique d’épreuves et pas une de plus.
Il faut toutefois toujours récupérer des clés, non pas pour en faire quelque chose, surtout pas pour déverrouiller une éventuelle grille ou trappe, non simplement pour se qualifier dans la seconde manche. Les clés sont ensuite placées directement dans un mécanisme qu’on ne voit jamais l’écran et dont on n’explique pas l’utilité (sans doute parce qu’il n’y en a pas).
Les prisons servent de lieu de transit cette année, la mode est au ballotage et si on a le malheur d’être le dernier prisonnier, l’équipe a toujours la possibilité de nous faire libérer au Conseil. Parlons-en d’ailleurs du Conseil, réduit à sa portion congrue cette année. Les Maîtres des Ténèbres ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, souvent filmés de dos, ils ne servent plus qu’à mettre les candidats en prison. Il est terminé le temps où Olivier sermonnait les Maîtres pour leurs piètres performances. Par ailleurs, l’entrée au Conseil est dérisoire, les candidats y entrent comme dans un moulin par une vague entrée percée de trois trous.
Cette année, on assiste aussi à l’enterrement des personnages, tous vêtus de noirs, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. La Boule est cantonné au rôle de figurant, attendant devant la porte que le temps passe.
Le montage est un autre point sensible de l’émission, ce que craignaient les fans est arrivé, les épreuves sont entrecoupées par les réactions des candidats. Le téléspectateur ne peut plus suivre l’intégralité de l’épreuve jouée.
Et c’est là que nous en arrivons à la polémique de la semaine, le jeu ne serait-il pas devenu une copie de Koh Lanta ?
Les mots sont sans doute un peu forts et la nuance doit être de mise. Point d’île déserte ici, ni même de conseil autour d’un feu de camp ou encore de réunification. Chaque émission conserve ses propres codes. Mais les similitudes sont troublantes (enfin pas tant que ça quand on sait que les deux jeux sont produits par Adventure Line Productions) : les commentaires de la voix off sont les mêmes que ceux qu’on peut entendre dans Koh Lanta, l’exemple le plus flagrant reste l’ouverture du portrait de François avec des photos personnelles ou encore la présentation d’Alexandra avec son enfant… Au demeurant, pour moi qui adore Koh Lanta, je n’ai pas trouvé cela gênant, mais est-ce bien légitime d’intégrer autant de codes modernes dans un jeu aussi traditionnel que Fort Boyard ?
Autre problème, les jeux apparaissent en faible nombre, seulement sept dans la première manche et neuf dans la seconde, on les éclipse justement au profit de ces témoignages et reportages, tout comme dans Koh Lanta où les épreuves ne constituent qu’une partie de l’émission, le reste étant des interviews ou des reportages.
Mais quand les jeux commencent, le suspense et l’action se font bien sentir, c’est là l’atout majeur de cette nouvelle version, elle nous tient en haleine malgré les reportages. Ce qui fait le succès de Koh Lanta est bien adapté pour Fort Boyard. Certes, l’équipe des Cuivres était nettement en deçà de celle des Titanes samedi, mais il n’en demeure pas moins qu’un retournement de situation peut se faire très vite.
J’ai apprécié d’ailleurs, en seconde manche, que l’équipe qui remporte le duel puisse choisir entre deux aventures, cela ménage sans conteste un certain suspense et l’équipe décisionnaire est en quelque sorte maîtresse de son destin.
Petit bémol toutefois, certains jeux sont particulièrement longs, le « Relais étriers » par exemple a duré une dizaine de minutes à lui seul, c’est beaucoup. Mais la qualité du jeu proposé et l’enjeu omniprésent nous font vite oublier le temps, fort heureusement.
J’ai aimé retrouver l’ancienne épreuve de la « Salle des tortures ». Dommage que Géraldine n’ait pas été très loin, mais revoir cet ancien jeu a dû en ravir plus d’un.
L’ultime partie du jeu, la Salle du Trésor, est sans doute la plus grosse révolution de cette version. Le mécanisme pour entrer dans la Salle du Trésor a été entièrement renouvelé. Désormais il faut insérer une ardoise dans une fente pour déverrouiller une trappe permettant d’accéder aux souterrains du Fort. J’ai adoré ce système qui est, une nouvelle fois, un clin d’œil à la première saison du Fort en 1990. Le fait que le mot écrit sur l’ardoise n’ait aucune conséquence sur l’ouverture ou non de la trappe ne me gêne pas, car cela permet de garder un vrai suspense jusqu’à la fin du jeu, ce qui n’est pas plus mal. Je regrette toutefois l’absence de deux symboles du jeu : les têtes de tigre qui ne servent plus aux sacrifices et le damier de la Salle du Trésor. Le fait de ne plus entendre « Félindra tête de tigre » en fin d’émission, mais au début de la deuxième manche est un peu étonnant et je comprends que de nombreux téléspectateurs aient pu être désemparés.
Côté casting et candidats, c’est une pleine et entière réussite, les candidats sont motivés, téméraires, volontaires et solidaires. C’est sans doute l’un des points les plus positifs de cette nouvelle formule. Après, je n’aurais pas boudé une spéciale célébrités cette saison pour donner le change, avec une grosse tête d’affiche par équipe de quatre. Eh oui, je fais partie de ceux qui pensent que les célébrités vont manquer à un moment ou un autre au programme. Oui aux anonymes, mais pas au détriment d’une ou deux émissions spéciales. Cela avait du charme d’attendre chaque semaine le nom d’une ou deux vraies célébrités et cela était globalement profitable en terme de retombée médiatique, ce que la présence d’anonymes ne permet pas.
La réalisation quant à elle a été particulièrement soignée, j’ai été enchanté de voir de magnifiques plans aériens durant l’émission. Ces plans permettaient de recadrer l’action et de ne pas faire complètement oublier aux téléspectateurs que le jeu se déroulait bien dans un fort au milieu de l’eau, ce que la compétition ferait vite oublier finalement. Le plan sur le damier du Fort, bien que répétitif comme je l’ai dit est bien trouvé et plutôt élégant tandis que le nouveau logo, plus doré et moins rouillé, est très agréable à l’œil. La nouvelle version du générique est d’ailleurs excellente, les machines et autres rouages du précédent ont été retirés pour laisser place à des candidats dans des épreuves, c’est beaucoup mieux ainsi.
En définitive, cette nouvelle formule a un goût, non pas d’inachevé, mais de modernité un peu trop accentué. France 2 et Adventure Line Productions ont voulu en terminer avec le côté divertissement de l’émission pour ne garder plus que le jeu et la compétition. C’est un choix qui se défend. Mais le gros problème de cette version réside dans le fait que trop de bouleversements tuent le bouleversement. De nombreux symboles de l’émission ont été retirés et n’apparaissent plus alors qu’il aurait été préférable de les garder afin de laisser des marqueurs et des points de repère aux téléspectateurs qui ont pu se trouver à bon droit complètement perdus. Les personnages du Fort ne sont plus que prétexte, tout comme les clés, ils sont là, car ils font partie du décor, mais on ne sent plus aucun intérêt porté à leur égard. En voulant trop vite moderniser les codes de l’émission, la production risque de s’y brûler les ailes. Traditionnellement, les téléspectateurs redoutent la perte des fondamentaux, car ils agissent pour eux comme autant de points de repère leur permettant de croire qu’ils maîtrisent un tant soit peu ce qu’ils sont en train de regarder.
Il ne faudrait pas, sous un prétexte de « standardisation des jeux d’aventure » que Fort Boyard perde son identité. Ce qui a toujours fait l’originalité et la force du programme c’est justement la magie du lieu, le mystère de ses personnages, sa temporalité contraignante agissant en point de repère (et non son intemporalité). Cendrine Dominguez disait à son époque que la seule Star à Fort Boyard c’était le Fort lui-même ainsi que le Père Fouras. Huit ans plus tard, je ne crains personnellement qu’une seule chose, que le Fort ne fasse plus autant rêver qu’avant…